Une conception du livre en tant que processus d’écriture
À propos de la série « via wwalnuts »
Takashi Hiraide
Il s’agit d’une série de livres d’à peine huit pages, dont la matérialité est réduite au minimum, de même pour la reliure, il est ainsi conçu à partir de la rencontre avec une enveloppe.
Depuis un an, je publie un volume par mois, je varie le design, avec comme axe principal la présentation de mes poèmes, mais également ceux d’autres poètes, des essais, des critiques, des archives de conférences, des photos. Les livres ont un ISBN, ce qui en permet l’achat par Amazon, certaines librairies ou magasins de disques au Japon. Mais le principe serait plutôt que le lecteur le reçoive directement chez lui, par la Poste, dans sa boîte à lettres. Le timbre, l’oblitération, l’autocollant portant les coordonnées, la signature et des taches ou des marques résultant du transport peuvent rajouter quelque chose à un design simple.
L’enveloppe représente la couverture du « livre » sur laquelle sont imprimées les informations nécessaires comme pour un livre ordinaire. L’enveloppe n’est pas fermée avec de la colle, mais avec un autocollant détachable sur lequel est imprimé le code barre. Si on enlève l’autocollant, le rabat de couverture se soulève et apparaît le « livre ».
La série « via wwalnuts », comme unification avec l’enveloppe, est à la fois livre, mais aussi objet postal. Cette série n’est peut-être pas une série de « livre d’artiste », parce qu’elle est conçue à partir de la réflexion suivante : « quel médium microscopique puis-je mettre au point afin de pouvoir continuer à écrire des poèmes et des critiques poétiques pour le reste de ma vie ? » Même quand j’essaie de rendre « plus esthétique » le livre, ce n’est pas pour les lecteurs, ni pour l’exposer au monde, mais pour m’encourager moi-même et pour soutenir mon écriture.
En revanche, je reste réaliste en ce qui concerne mon audience. Pour la première impression de chaque volume, je réalise une édition de 40 exemplaires. Ma longue expérience m’a appris que ce chiffre représente, pour moi, le nombre indispensable de lecteurs et un tirage raisonnablement réaliste. De plus, la vente de ces exemplaires me permet de récupérer l’énergie et l’argent nécessaire pour continuer, ainsi que la force minimale pour le roulement de la série… Comme la réalisation à la main risque de me priver d’énergie et de temps pour l’écriture, à présent, des jeunes artistes partageant ce concept, m’aident à répondre à de plus grosses commandes. Cependant, ce système de publication est intrinsèquement pour moi-même et par moi-même. Alors, même maintenant, un an après la création de la série, j’ai besoin de me focaliser sur le « minimum » pour pouvoir, un jour, la réaliser complètement tout seul
C’est paradoxalement le cahot de l’ère du livre numérique qui m’a permis de créer cette forme du livre. Écrire des poèmes, pour moi, c’est exprimer ma raison d’être sur du papier blanc. Il s’agit donc d’une petite et fragile tentative de faire circuler comme « livre » ces oeuvres sur le marché. Personnellement, je ne pense pas que le « livre » puisse se transformer en objet de l’espace internet, et plus l’importance d’internet grandit dans la société, plus j’aurais envie de revenir à une forme plus ancienne de ce qu’est le livre. On pourrait dire, cependant, que ce qui se passe constitue une forme que prend le « livre » avant de mourir, une partie de son processus de disparition.
A la lumière de la théorie de l’évolution, on peut imaginer des êtres s’inventant instinctivement eux-mêmes. Afin de survivre entre un risque de disparition et un avenir entrevu, ils modifient leurs formes et leurs couleurs, changent et réorganisent leurs organes petit à petit. Pour moi, en tant qu’écrivain, qui veut rapprocher le processus de fabrication du livre avec celui de l’écriture, la transformation de la forme du livre ressemble à l’évolution de ces êtres.